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Croisière OUAKAM 2009

 

Pour paraphraser le titre d'un livre de mon oncle : "A tous ceux qui naviguent avec moi"

 

 

 « Me voilà sur la bonne route pour pouvoir réaliser l’ancien rêve autrefois impossible…atteindre ma vitesse de libération ! Vitesse de libération…celle qui imprime à la fusée une impulsion suffisante pour l’envoyer sur orbite…et une fois là, mon petit père, tu restes peinard à cette altitude où la Vie ne pourra jamais te flinguer comme un canard sauvage…Oui, je sens que ça va devenir vrai dans pas trop longtemps…courir la mer jusqu’à plus soif…mouiller l’ancre un moment quand je serai saoulé d’embruns…Tout là haut dans le ciel…très loin là-bas sur la mer…Vitesse de libération… »

 

Bernard Moitessier « Tamata et l’alliance »

 

En aura-t-il fallu cette année encore de la ténacité pour atteindre ma « vitesse de libération » : pilote automatique électrique acheté et installé, presse-étoupe changé, carénage effectué, bas-haubans remplacés, moteur décalaminé, vaigrage partiellement recollé...et puis tous les : « Tu vas pas t’en aller tout seul !.. », « Comment tu vas dormir ?..», « Personne ne fait plus ça !..», « C’est pas raisonnable !.. »,  « Il faut qu’on reçoive les Machins à dîner… », etc… Tout un entêtement jour après jour, pied devant pied, pour réussir à profiter de cette courte éclaircie climatique que voici encore quelques années on appelait l’été.

 

Et puis, parmi tous ces aimables obstacles qui s’élèvent contre cette activité dérisoire (mais toute activité ne serait-elle pas dérisoire ?...) qui consiste à voyager sur mer en voilier, le plus inattaquable : la santé des parents qui se font vieux ; là-bas, au nord, seuls. Bien sur il faut aller les voir, les aider, leur tenir compagnie, vivre un peu ensemble pour retrouver dans la nostalgie notre tanière d’autrefois, le nid où l’on s’est préparé pour la vie. Alors pour sortir de ce grand écart racinien, le projet s’impose : joindre l’utile et l’agréable, se rendre à la voile à Concarneau depuis Arcachon.

 

C’est donc le mardi 28 juillet 2009 que j’appareille à 8 heures. Mon ami Alain, qui est lève-tôt, est venu gentiment larguer mes amarres et agiter son mouchoir sur la falaise (non, ça c’est dans « Pêcheur d’Islande »…). Bref, un peu d’émotion quand même et, comme on disait à la vacation radio du Conquet à bord des chalutiers concarnois : « Route pêche et bonjour aux familles » (Le Conquet-Radio a disparu, les chalutiers sont moribonds et les communications par téléphone-satellite peuvent être moins laconiques…).

 

Il fait très beau, le baromètre est à 1020, le vent de Nord-est force 3, la mer est belle. Les passes du Bassin sont derrière moi à 10 H 40 (je n’aime décidément pas ce passage…), le moteur stoppé, « OUAKAM » marche gentiment à 4 nœuds.

Sauf pendant une heure, j’aurais du vent jusqu’à 7 heures 25 le lendemain matin ; mais comme il fallait s’y attendre, exactement dans le nez… Je passe donc mon temps à me tenir et à virer dans des bords de près, avec un vent qui montera à force 5 en soirée, m’obligeant à réduire la toile.

J’ai pris comme principe de capeler le harnais et d’accrocher la longe dés le premier ris de jour et tout le temps la nuit. C’est donc ainsi gréé que je croche le premier ris à 18 H 20. Je tente une expérience non concluante : mettre le bateau à la cape pour réduire la grand-voile. J’ai laissé une trop grande surface au foc et ça cafouille. A l’avenir donc, je continuerai à faire route au près, sous foc seul pendant que j’arise la grand-voile. Cela prend deux minutes, sans problème.

 

A regret j’allume les feux de route aux dernières lueurs, avec le sentiment d’entendre en permanence les ampères s’envoler de ma batterie. Il faudra vraiment que je m’intéresse aux moyens de produire de cette fichue électricité.

 

Comme d’habitude la mer est quasiment vide et ne sont à craindre que les pièges à plaisanciers répandus sur les hauts fonds relatifs par les pêcheurs qui restent. C’est une sorte de loterie, à laquelle heureusement on ne gagne pas souvent malgré tout. Nos quilles, dérives, safrans, hélice sortent en général indemnes de ces champs de mines. Dans ma croisière je n’entendrai qu’une fois la nuit un choc léger contre ma coque et j’entreverrai disparaître une perche dans le sillage.

 

Je gère mon sommeil comme précédemment, selon la méthode des régatiers solitaires : un tour d’horizon attentif, le détecteur de radars en marche, son alarme réglée à vingt minutes et hop ! Je plonge dans un sommeil rapide et profond. Cela demande un certain entraînement mais dans mon cas, cela fonctionne. Je dormirai également de cette façon le jour lorsque l’envie s’en fait sentir. De jour, on voit et on est vu. On est donc plus serein pour piquer un roupillon.

Ce qui me sera le plus pénible finalement, c'est d’avoir à me nourrir, ce que je n’ai jamais su vraiment faire. La simple idée d’avoir à faire des courses alimentaires et de cuisiner suffit presque à m'alimenter. Cela présente l’avantage de me faire maigrir…

 

Le bulletin météo du mercredi matin m’annonce pour la soirée du vent d’ouest à suroît force 5 avec rafales possibles à 30 noeuds. Je préfèrerais donc être alors bien amarré dans le port des Minimes. Mais pour cela, et le vent étant pour l’instant presque nul et toujours contraire, je n’ai plus qu’à finir au moteur. Je le démarre à 7 heures 25 et c’est alors que j’apprécie pleinement mon cadeau de l’année : le pilote automatique électrique. Comme le moteur tourne, il compense la consommation électrique et je peux vaquer à mes occupations.

 

J’accoste le ponton des visiteurs à 17 heures 20. Le port est plein à craquer ; c’est de saison. Me voici donc amarré à couple d’un vieux Sangria, heureusement vide d’occupants. A ma surprise, il ne m’en coûtera cette année que 19 euros pour une nuit. Je crois que j’avais payé davantage l’an dernier. Certains prix baisseraient-ils ?...

 

Une fois passé en soirée le vent fort annoncé par la météo, la nuit est calme mais fraîche. C’est bien couvert comme en automne que j’appareille à 8 heures le jeudi 30 juillet. Ma route passe naturellement par le Pertuis Breton et je m’y engage après avoir coupé court derrière le plateau du Lavardin et être passé sous le gigantesque pont de Ré. Le vent est de Nord force 2 à 3 et c’est à petite vitesse que je tire des bords dans ce joli plan d’eau, à raser l’île de Ré et ses endroits chics. A l’heure du Ricard je suis à toucher la citadelle de Saint Martin de Ré. Après le déjeuner, il se lève un délicieux vent d’ouest force 3 qui m’emmènera sur un tapis flottant jusqu’à la Pointe du Grouin du Cou puis, vers 18 heures, à toucher le port artificiel de Bourgenay. Il fait très beau, mais je remarque comme la houle de fond ne demanderait qu’à enfler. C’est le problème de cette portion de côte : il s’y lève une mer infernale par mauvais temps.

Je ne puis m’empêcher de penser à ce couple mort ici il y a trente ans et dont le naufrage m’avait alors occupé dans mon service au CROSSA. Ils possédaient un Brise de mer 31, bon voilier en aluminium de plus de 9 mètres de long, construit par un chantier alors réputé. Ils habitaient Bordeaux et se trouvaient au terme de vacances ou d’un week-end en escale aux Sables d’Olonne. Il faisait mauvais temps et les prévisions n’étaient pas bonnes. Mais il fallait rentrer pour dieu sait quelles contraintes professionnelles, petit chef acariâtre, boutique à ouvrir, etc…Ils s’étaient rendus au bout de la jetée pour observer la mer, avaient parlé avec des pêcheurs. L’enquête établira tout cela. Mais il fallait rentrer…et ils ne sont jamais arrivés. Pris dans la grosse houle de cette côte, leur voilier n’a jamais pu se remonter dans le vent de suroît. Inexorablement ils ont dérivé vers les brisants. Comprenant que le bateau ne s’en sortirait pas, ils s’étaient équipés de deux brassières de sauvetage chacun. C’est ainsi qu’on retrouva leurs corps, broyés sur les roches et roulés par les vagues furieuses…

 

 

C’est à ce stade que mon fidèle adversaire, le vent debout revient : exactement Noroît. Je repars donc pour une série de bords qui m’amènera jusque devant Brétignolles le 31 juillet à 1 heure 40. Là le vent m’abandonne totalement, la mer est tellement calme qu’elle paraît huileuse sous les lueurs de la côte. Au moins je n’ai plus de scrupule à consommer des ampères pour les feux de route. Par contre, vers 6 heures du matin je juge plus prudent de refaire le plein de gasoil à partir de mon jerrican de 20 litres de réserve. Cela se passe sans renverser une goutte, toujours grâce à ce petit siphon à bille d’une simplicité admirable. Il fait 17 degrés dans le bateau ; c’est l’été d’aujourd’hui…Je devrais naviguer au moteur jusqu’au port du Crouesty à 75 milles de là, en passant sur le pont d’Yeu, au large de Noirmoutier et de l’estuaire de Loire, jusqu’à entrer dans ma chère « Mor Bihan » entre le sinistre plateau du Four, où je croise là encore des fantômes , et le phare des Grands Cardinaux. Je m’amarre ce 31 juillet au ponton des visiteurs à la dernière place libre, il est 16 heures, il pleut sans discontinuer et sans vent, la visibilité est mauvaise, barbouillée qu’elle est de grisaille. Je range tranquillement le bateau ; je ne suis pas très fatigué, mais quand même, je ne tarde pas à m’endormir après dîner.

 

 

Je m’accorde trois jours de récupération dans ce joli port qu’est Le Crouesty. Cet ancien marigot insalubre a, contre bien des écolos-intégristes, été transformé en un agréable lieu de vie maritime, économique et touristique. Sur le plan maritime, l’abri et les équipements sont parfaits. Economiquement, les terre-pleins ont permis l’implantation d’une quantité de commerces pour la plus grande satisfaction des navigateurs et des touristes. J’y trouverais dans la même boutique qu’il y a deux ans les mêmes mocassins « bateau » sans lacet pour remplacer ceux que j’ai usé. Routine amusante ; je ne les trouve qu’ici. En général on vend partout des mocassins à lacets en cuir, qui ont une fâcheuse tendance à toujours se défaire et que, lassé, on finit par porter « en grôles »…

Les sanitaires, réservés aux plaisanciers, sont d’une qualité et d’une propreté irréprochables.

 

Je songe à un autre marigot insalubre près de la voie ferrée et du port d’Arcachon où l’on vient d’aménager une nième promenade pour les vieux. Les princes qui nous gouvernent auraient dû venir visiter Le Crouesty auparavant…

 

 

Sur le même thème, je découvre également une très belle promenade piétonne qui ceinture le site mégalithique du « Petit Mont ». Quelques kilomètres qui longent la mer autour de cette magnifique péninsule déjà remarquée 4500 ans avant Jésus Christ, puisque nos ancêtres de l’âge mégalithique y édifièrent un « Cairn » fort important.

Pas très loin du port, il est également plaisant d’aller nez-au-vent dans le petit bourg d’Arzon. Seul bémol, la population estivale « pull-sur-les-épaules » est tout de même beaucoup plus proche des « Le Quesnoy » que des « Groseille ». Ceux qui ont vu et revu le film-culte « La vie est un long fleuve tranquille » comprendront. C’est un peu monotone et me porterait volontiers à la caricature…

 

Le lundi 3 août, il faut appareiller. Parce qu’il faut bien avancer vers le but et que, quand même, 27 euros par jour pour un petit voilier comme le mien, c’est un peu exagéré malgré les qualités de l’endroit. Le baromètre est à 1017, mais il fait toujours frais et gris à 8 heures lorsque je sors, après avoir fait le plein de gasoil sur un ponton adapté comportant des pompes automatisées, comme pour les voitures.

Le vent vient du suroît force 4, justement là où je vais pour passer La Teignouse, la bien nommée. Après l’îlot de Méaban le vent monte et ce sera un ris dans la grand-voile et quatre tours dans le foc. Par contre le bateau marche bien, la baie de Quiberon est prestement traversée et la Teignouse passée à 10 heures.

 

 

Dés lors j’abats progressivement en choquant les écoutes et c’est le bonheur du vent de travers à 5-6 nœuds, exactement dans la bonne direction. Comme chaque fois qu’il y a du vent le régulateur d’allures travaille à merveille. On se surprend à regarder ce bidule fonctionner avec la même fascination que celle dont je me souviens lorsque j’avais un aquarium et que je me surprenais à regarder davantage les poissons que l’écran de la trop stupide télévision.

Tout va pour le mieux jusqu’à 14 heures malgré un temps mitigé. Mais voici que le vent monte et que la houle frise les deux mètres en même temps qu’il m’arrive un crachin fort désagréable, qui bouche de surcroît la visibilité. Il fait 18 degrés, je suis habillé à la mode « casque lourd ». Pas le choix, on y est, on y est…

 

Vers 15 heures, j’aperçois sortant derrière moi de la boucaille un joli petit trimaran bleu marine de 10-11 mètres. On se salue et il a tôt fait de me dépasser et de disparaître dans le grain, vers la direction présumée de l’île de Penfret aux Glénan. Direction présumée…Car on n’y voit rien ! Je tâtonne au GPS et avec ma cartographie numérique pour trouver la bouée du plateau de Basse Jaune. Je me demande si elle n’a pas été déplacée, je doute, je m’use les yeux, je vérifie sans cesse tous les paramètres…enfin la voilà ! Bouée cardinale Est, donc danger dans son Ouest…j’y courais.

 

 

Enfin, à 19 heures 40 je démarre le moteur devant la balise du Cochon pour effectuer les manœuvres de port. Je me glisse dans la dernière place disponible du ponton visiteurs D43, car libérée, comme je l’apprendrai, seulement une heure auparavant. Coucouche-panier ! On verra pour les formalités demain matin.

 

 

Distances (milles)

Heures de navigation

Dont au moteur

Arcachon-La Rochelle

139

33 H 20

13 H 50

La Rochelle-Le Crouesty

141

32 H 00

15 H 50

Le Crouesty-Concarneau

61

12 H 00

01 H 20

Totaux

341

87 H 20

31 H 00

 

Le lendemain, c’est l’écho contre les murailles de la ville close des plaintes hargneuses que les goélands lancent contre le ciel gris qui me réveille. Nous sommes le 4 août, il fait 18 degrés... Je vais à la capitainerie et esquivant la question habituelle : « Vous êtes arrivé quand ? » je demande à louer pour une semaine. On cherche le tarif (114 euros), on discute, on m’explique que j’économise deux nuits…et du coup on oublie la première qui vient de passer. C’est toujours ça de pris ; les tarifs portuaires m’ont toujours paru honteusement élevés et illégitimes.

 

Jusqu’au 11 août la semaine se passe en famille comme prévu. Je vais et viens avec plaisir à pied dans cette ville qui m’était si familière. Pour ne pas compliquer les problèmes d’intendance, je déjeune et dors à mon bord. L’après-midi et le dîner se passe auprès de mes parents, que je réussis parfois à faire sortir pour des achats ou une promenade. L’âge est une prison…

 

J’ai également le grand plaisir de voir chaque jour mon petit-fils Antoine, dix-sept ans déjà… Le temps reste globalement frais et maussade et j’entends dans les rues grommeler les touristes. La Bretagne est merveilleuse, mais il faut être là quand le beau temps se donne.

 

 

 

Le mardi 11 août donc, ma location est échue et j’appareille à 7 H 25 en dépit d’un temps encore peu engageant. Un très petit vent de Noroît me permet d’échapper par le large à un énorme grain de crachin qui arrive de la Forêt-Fouesnant et ne tarde pas à engloutir la ville puis à s’étaler jusqu’à la pointe de Trévignon.

 

 

La fin de matinée s’éclaircie et réchauffe mon envie d’action. Je gréé le spinnaker. J’ai quelques craintes à envoyer cette énorme surface de toile que j’aurais bien du mal à maîtriser seul si le vent monte sans trop prévenir. Je reste donc très attentif. Le régulateur d’allures parvient même dans ces conditions à barrer aussi bien que moi. Je tire des plans sur la comète quand même car le gréement de mon tangon ne me satisfait pas complètement. Le bateau avance enfin gentiment au portant, prochain waypoint du GPS : entre Yeu et Rochebonne 46°40’ N et 002° 30 W

 

 

 

Vers 16 heures je découvre que le soleil n’est pas mort, car le voici. Je passe au large des îles de Groix et Belle-île ; hauts lieux de souvenirs et que j’aurais bien voulu revoir mais que je sais désormais l’été couvertes de foules grouillantes.

Encore une fois, en regardant le soleil couchant éclairer de miel les lointaines falaises de la côte sud de Belle-île, je réalise que ma croisière tient parfois d’une visite au cimetière…J’ai déjà écrit par ailleurs la fin de celle dont l’ombre est parfois par ici et que j’ai nommé Caelia, du nom de la reine des fées qui meure noyée dans la légende arthurienne. Pour l’heure, je revois là-bas « Piano », il y a si longtemps, à la barre du « Suroît », un des premiers voiliers-casseroles en alu que Philippe Harlé faisait tester à notre école de voile. Dix-sept ans, blond comme un alsacien y compris ses longs cils qui essayaient de filtrer un soleil resplendissant. Il débordait de vie, ses yeux étaient toujours rieurs sous une frange de baguettes de tambour que contenait mal son perpétuel bonnet de laine rouge. Par un temps miraculeux, nous avions choisi de faire le tour de Belle-île et nous contemplions dans le sud ces falaises cyclopéennes, sur lesquelles la mer se faisait exceptionnellement douce. Au retour de ce stage Piano voulut rentrer à Paris en auto-stop avec sa petite copine. C’est la mort qui s’est arrêtée les prendre, banal accident de la route, comme tant d’autres…

 

La soirée est magnifique par le travers de Goulphar et n’est troublée que par le passage trop proche d’un petit porte-conteneurs (certains disent un « semoir » à conteneurs…) qui sort de Loire. Son calculateur a dû l’informer que « ça passait » et il juge sans doute amusant d’effrayer le plaisancier. Pour ma part, je surveille longtemps une route qui me paraît « de collision » et comme il fait beau et clair je ne bouge pas.

 

 

Vers 23 Heures j’ai le privilège d’un lever de lune spectaculaire. Cette lueur bienveillante m’accompagnera toute la nuit. Enfin pour tout arranger, il se lève vers 1 heure du matin une brise de terre Est-Nordet force 3, proche de l’idéal, sur une mer aplanie. Le bateau me semble en frétiller d’aise. Et le mieux, c’est que ça dure ! J’atteins mon waypoint à Yeu vers 7 heures et prends comme nouvelle destination BXA, la bouée d’atterrissage pour l’entrée de la Gironde.

Ce vent délicieux me lâche cependant à 9 heures 40 et tant pour avancer que pour recharger ma batterie de servitude après la nuit, je marche au moteur jusqu’à 14 heures. Après quelques hésitations le vent se lève de Noroît à 15 heures ; nous sommes (enfin…) en régime anticyclonique typique avec des brises thermiques. Je poursuis ma route vent arrière, voiles en ciseau, avec retenue sur la bôme et tangon pour le génois. OUAKAM est bien appuyé et l’allure très agréable.

 

Je vois se coucher mon second soleil depuis Concarneau. Je me sens bien et n’éprouve pas de difficultés à suivre mon intention gardée secrète : faire route directe.

 

En soirée, je suis ennuyé par la trop grande proximité d’un chalutier et de ses dangereuses fûnes. Là encore, ça passe. Aucune silhouette n’apparaîtra, nous sommes loin de tout et seuls, mais pas le moindre salut n’est échangé. Les pêcheurs ne sont plus ce qu’ils étaient. Radicalisés et aigris comme bien des catégories de citoyens aujourd’hui, ils s’enferment dans leurs convictions simplistes et dans un communautarisme de plus, qui ne communique plus que pour revendiquer dans des bouffées de violence sociale. Je préfère me souvenir de la gaîté de mes copains de l’« Amaryllis » (tous disparus…) quand je gagnais mes vacances d’étudiant en pêchant au chalut en leur compagnie sur les bancs de la petite et grande Sole, dans le sud de l’Irlande. Pêche industrielle, marées de quinze jours, à virer nuit et jour toutes les trois heures, beau temps mauvais temps,…c’était dur, mais on rigolait et on gagnait bien.

 

Vers 23 heures mon tangon me joue un tour. L’effort du génois se traduit par une compression sur la ferrure qui fixe le tangon au mât. Il s’agit d’une sorte de curseur que j’ai bien à propos déniché dans des « puces » nautiques, car il va exactement bien sur le profil de mon mât. Seulement cette ferrure était incomplète et j’ai dû ajouter un système à vis pour l’immobiliser à hauteur désirée. Pas assez serrée sans doute la ferrure finit par glisser et se retrouver au pied du mât tandis que le tangon bât la carmagnole et que claque le génois. Il n’y a plus qu’à chausser la lampe frontale, s’amarrer à la ligne de vie et s’en aller au bal, là-bas au pied de mât. Quelques chutes et jurons plus tard l’affaire est arrangée mais comme disait une vieille publicité « …c’est tant mieux parce que je f’rai pas çà tous les jours ! ».

 

J’ai changé mon waypoint pour pointer désormais sur la dernière marque de parcours : la bouée d’atterrissage des passes d’Arcachon. Je cavale toujours mes cinq nœuds au vent arrière. Après avoir passé la latitude de la Gironde voici de nombreux bateaux de pêche. Je ne peux plus dormir, il faut observer leurs feux et leurs couleurs, sachant qu’ils suivent parfois des routes erratiques et qu’il faut suivre leurs pistes dans le temps. Je fais longtemps route vers le sud en voyant le feu rouge (bâbord) de l’un d’eux se rapprocher peu à peu, car chalut à l’eau ils ne vont pas plus vite que moi. Comment ça va se terminer ? Battements de cœur lorsque je vois soudain les deux feux, le vert et le rouge. Il me vient par conséquent droit dessus et il n’est vraiment pas loin ; malgré la nuit je distingue bien sa silhouette et sa passerelle ; aux jumelles je verrais la clope du timonier. Je prends le parti de ne pas bouger et de continuer ma route. En fait, il décrit une grande boucle derrière moi, le feu rouge disparaît enfin à ma vue. Il reprend son trait de chalut en sens inverse, vers le nord. Peut-être s’est-il amusé lui aussi à l’idée de faire peur à ce « couillon de plaisancier »…nouvelle société qu’il faut prendre en compte sans s’attarder.

 

Le reste de la nuit est plus solitaire donc paisible. Le ciel, piqueté de lumières parties il y a longtemps depuis des mondes peut-être à présent disparus, me gratifie du spectacle de quelques étoiles filantes. C’est la saison des Perséides et on ne peut s’empêcher naïvement de faire un vœu à chaque fois.

 

Le jour se lève comme une délivrance. On ressent en mer un soulagement animal venu du fond des âges à voir revenir l’astre qui donne vie à tout ici. Je n’ai vu aucune terre depuis que l’île d’Yeu a disparu au loin, je n’en vois toujours pas et j’ai plaisir à tournoyer sur 360 degrés d’horizon libre.

 

Vers 15 heures la côte du Cap Ferret se précise pourtant, je retrouve un réseau téléphonique pour prévenir Liliane de mon arrivée. Elle est surprise de me voir arriver plus tôt qu’elle pensait et, en déplacement, devra faire appel à Alain et Michèle pour s’assurer que le port libère ma place pour ce soir. Merci les amis.

 

Il est 17 heures lorsque j’arrive sans me presser à la bouée d’atterrissage. La mer sera pleine à 22 heures 10 ; il faut que j’attente au moins la mi-marée pour m’engager dans le piège, je reste donc à la cape d’un bord puis de l’autre. Cette allure produit un étrange calme à bord, alors que dehors le Noroît thermique d’après-midi souffle à 20 nœuds.

A 19 heures 10 je prononce pour moi-même la phrase rituelle « A Dieu vat » (avec un "t" qu'on prononce...) et m’enfile dans le corridor de bouées. La passe est calme mais il me faudra dans le bassin tirer deux bords, pour le fun, dans un Noroît musclé à remonter jusque « Chez Hortense ». Le reste n’est que routine sur une route familière et à 21 heures 15 j’amarre OUAKAM à sa place. La boucle 2009 est bouclée, avec beaucoup de plaisir et sans casse.

 

 

Distance (milles)

Heures de navigation

Dont au moteur

Concarneau-Arcachon

255

61 H 40

12 H 40