Louis BRAUQUIER |
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Né en 1900 à
Marseille, mort en 1976, agent des Messageries Maritimes, Brauquier
fut en poste à Sydney, Loin des modes, des
écoles et des engouements de son époque, cet homme libre, Dans son Voyage en
Chine, Jules Roy a écrit : « Mon ami Brauquier… Louis Brauquier s’impose aujourd’hui comme l’un des plus attachants nomades de la poésie française. |
Amarres
L’homme passe sa vie
à lancer des amarres Puis, quand il est
saisi dans le calme du port, Pour peu qu’à
l’horizon une fumée l’appelle, Il regrette à nouveau
la liberté des mers ; La liberté des mers,
avec leur solitude, Qui parleront
toujours au sel de notre sang, Où, plus que le
printemps enchanteur de la terre, Tardif est l’alizé
pour le cœur qui l’attend. Eaux douces pour
navires |
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Mouillage
Encore une rade
foraine Sur la carte de notre
vie, Encore une raison de
dire : « Tu t’en
souviens, c’était un soir… » |
Quart de nuit
Des hommes parlaient
de la France Sur des fonds de deux
mille mètres, Et parfois tombait un
silence Dans un mouillage de
regrets. Voyage commercial |
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Et dans l’Ouest le
soleil tomba inobservé, Alors un homme blanc
se leva sur un cotre, Nu, pareil à l’embrun
sur la crête du vent. Montant et descendant
avec la longue houle Tantôt il s’appuyait
seul contre l’horizon, Tantôt disparaissait
comme l’Esprit des eaux. Le soir naissait sur
le cercle du Pacifique, Un beau soir sans
témoin que ce navigateur. Il tenait son mât
dans le creux de la main gauche Comme l’épaule d’un
ami silencieux. Avait-il eu un nom
quelque part sur la terre ? Trouvait-il un regret
au fond du souvenir ? Quelle image, en ce
crépuscule solitaire Allait monter à bord
avec la proche nuit ? L’ombre déposée dans
les fonds des vagues Lente maquillait la
limite d’eau. Au ciel éclataient de
jeunes planètes, Des mondes en feu
clignaient sous le vent. Alors il s’allonge
auprès de la barre, Il reprend la nuit,
la brise et la mer, Il reprend le ciel et
la solitude ; Est-il le premier,
est-il le dernier ? Il reprend la peur,
il touche la mort ; Où va-t-il se perdre
ou se retrouver ? Eaux douces pour
navires |
Mes amis rassemblés
qu’un même amour dépasse, C’est pour vous que
je pars. Je vous offre déjà
l’ardeur de mon absence Qui sera votre part. Mangez ces fruits
amers dont la pulpe est saignante Et buvez du vin
blanc. Que je sois près de
vous dans vos soirées brûlantes, Sur le Port innocent. Lorsque mon
souvenir viendra dans vos paroles, Faites-lui bon
accueil. Vous resterez
toujours dans la dernière escale Au plus sûr de mon
cœur. Si quelqu’un ne
sait pas mon nom, ne le lui dites. Gardez-le tendrement. S’il vous presse :
“Quel est cet ami qui navigue ?” “— C’est un homme
vivant.” C’est un homme vivant
qui part et se déchire Comme un ciel sur les
mâts ; L’homme le plus tenté
par l’amour des navires Et la forme du monde. "Mort de
l'armateur" |
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De la côte invisible sous les palmes Dans les vapeurs de l’aurore baignée Et du silence immobile et nacré Où s’égouttait un clapotis de rames. Ecrits à Shangaïe |
Alors, sur ses
rivages, la mer obscure, Comme lisant dans ma
pensée, la mer bougea. Grave, elle recouvrit
le sable sans empreinte Et le sable la but
d’une soif infinie. Elle se retira,
laissant sa trace humide, S’arrêta, lourde, à
la limite de l’étale ; Hésitante, le temps
d’avoir peur de la perdre, Et revint tendrement
s’allonger devant moi. … J’écoutais naître et
s’amplifier le prélude Où s’essayait la mer
balançant ses marées, Le tumulte
polyphonique qui nous tient Fascinés sur ses
bords, insaisissables ondes Que captent en secret
les conques immergées.
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Je vous appelle,
beaux copains de l’amertume, Qui traînez sur le
port des corps émerveillés, … Venez. L’éternité
monte dans le silence Et l’ombre qui nous
prend épuise sa douceur. Ah ! ne sentez-vous pas, vivantes, les présences D’innombrables
absents qui nous touchent le cœur ? Les vergues arrêtées
dans la nuit maritime Où les étoiles sont
la route de demain, Emeuvent à la mort,
sur la porte voisine, Des femmes appuyées à
d’inquiétants destins. |
Et moi j’aime ton
corps brûlé, Ton corps de poivre
et de cannelle, Frais comme un jardin
sous l’ondée Tropicale, aux joues
d’arc-en-ciel, Ou, chaud, comme au
soleil les coques De fer des cargos
paresseux Qui portent la fièvre
en eux, Parmi leurs
cargaisons baroques. Le bar d’escale |
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L’appel des ports Et bien ! c’est dis, je pars ; les grands embarcadères Grinceront sous mes pas. Je donne rendez-vous au prochain hémisphère, Au café de l’endroit. Pendant des mois sans fin, Nous irons voir comment se comporte la lune Sur l’empire abyssin. Sans le vouloir, Quelque part, par X degrés de latitude D’un pays noir. Vous resterez ici dans vos maisons, à l’ancre, Vous penserez à nous, Dans les soirs d’or où le couchant est comme un chancre Sur le ciel mou. Et nous nous saoulerons d’angoissants paysages, Et des villes ensoleillées S’approcheront en nous voyant sur leurs rivages. Nous hanterons les quais. Lourds de clameurs, d’amours, de chaleurs odorantes Et de noms étrangers ; Notre équipe sera partout la plus violente, On entendra hurler Nos voix dans les bordels, les grands soirs de bagarre Sur la côte d’Asie, A Péra, Colombo, Honk Kong ; les plus bizarres De nos amis N’auront fait que vingt fois le tour de la planète ; Ceux qui riront de nous, Se feront assommer à coups de casse-tête. Nous entrerons partout Par la force des poings. Puis quand notre équipage Rassasié de bourlinguer Sous de lointains soleils, à travers les naufrages Parlera de s’en
retourner, Un beau jour nous vous reviendrons : lorsque la hune Criera : « Marseille sur bâbord », Vous verrez s’amarrer vainqueur de la Fortune Notre galion d’or. |
Où sont les soirs du port si chargés de présence Quand de chaque voilier descendait un ami ! La vie s’en est allée ; son geste de silence A couvert la rumeur des places de la nuit. Je ne puis porter seul le tourment de ces fêtes Et tenir en mon cœur assez de volupté, Pour satisfaire, au bleu des ombres inquiètes, Ces pontons gisant sur des lumières noyées. Dans le soir émouvant dansent les mappemondes, Les bars sont l’archipel d’un obscur océan Où nous buvons, choquant les verres à la ronde, Le regret qui nous vient des premiers portulans. Visages de minuit |
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