AU VIEUX ROSCOFF
BERCEUSE EN NORD-OUEST MINEUR
 

Trou de flibustiers, vieux nid
A corsaires ! - dans la tourmente,
Dors ton bon somme de granit
Sur tes caves que le flot hante...
 

Ronfle à la mer, ronfle à la brise ;
Ta corne dans la brume grise,
Ton pied marin dans les brisants ...
- Dors: tu peux fermer ton oeil borgne
Ouvert sur le large, et qui lorgne
Les Anglais, depuis trois cents ans.


-Dors, vieille coque bien ancrée;
Les margats et les cormorans
Les margats et les cormorans
Tes grands poètes d'ouragans
Viendront chanter à la marée ...
 

- Dors, vieille fille-à-matelots ;
Plus ne te soûleront ces flots
Qui te faisaient une ceinture
Dorée, aux nuits rouges de vin,
De sang, de feu ! - Dors... sur ton sein
L'or ne fondra plus en friture.
 

- Où sont les noms de tes amants...
- La mer et la gloire étaient folles ! -
Noms de lascars ! noms de géants !
Crachés des gueules d'espingoles...
 

Où battaient-ils, ces pavillons,
Echarpant ton ciel en haillons !...
-Dors au ciel de plomb sur tes dunes...
Dors : plus ne viendront ricocher
Les boulets morts, sur ton clocher
Criblé comme un prunier de prunes...
 

- Dors : sous les noires cheminées,
Ecoute rêver tes enfants,
Mousses de quatre-vingt-dix ans
Epaves des belles années...
 

Il dort ton bon canon de fer,
A plat-ventre aussi dans sa souille.
Grêlé par les lunes d'hyver...
Il dort son lourd sommeil de rouille,
 

- Va : ronfle au vent, vieux ronfleur,
Tiens toujours ta gueule enragée
Braquée à l'Anglais !.. .et chargée
De maigre jonc-marin en fleur
 

Roscoff. - Décembre.

Tristan Corbière