Nous courons vers le gouffre les yeux grand fermés.

« Laissez faire Vénus, vous aurez Mars » Henri Bergson

L’approche scientifique de l’univers nous démontre que le chaos, l’état de plus grand désordre des éléments, est originellement le plus mathématiquement probable. L’approche systémique des organisations (aussi élémentaires soient elles) qui y sont cependant apparues depuis quatorze milliards d’années place quant à elle en première évidence que tout système a besoin de consommer de l’énergie prise à son environnement pour se constituer, se maintenir, s’adapter. L’Energie, dont nous connaissons bien les formes qu’elle prend, reste le dernier mystère quant à sa nature. Elle trouve son origine lointaine dans le « Big Bang » d’où surgit l’univers.

La société humaine d’un pays peut être considérée comme un système. Les sociétés de type occidental ne se sont spectaculairement développées pour la maîtrise du monde et de meilleures conditions de vie pour leurs membres que grâce à une consommation de plus en plus importante d’énergie. Elles sont aujourd’hui droguées à l’énergie et ne cessent d’invoquer la croissance comme un veau d’or.

Par ailleurs la seconde loi physique de la thermodynamique pose que si l’énergie ne se perd pas en étant utilisée (première loi), elle se dégrade (seconde loi). Voilà, en particulier, notre pollution. On peut plus généralement parler de « désordre».

Il faut dès lors considérer qu’un système exporte inévitablement dans son environnement le désordre (entropie) corrélatif de l’ordre (néguentropie) qu’il crée, maintient, adapte; y compris la pollution ; « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

L’énergie grâce à laquelle ces sociétés modernes se sont créées, maintenues, adaptées provenait jusque récemment presque exclusivement de la combustion de ressources fossiles, pétrole, gaz, charbon, génératrices d’un type de pollution-désordre qui met désormais en danger la stabilité climatique de la planète.

La première tentative de grande ampleur pour utiliser une autre source à cette énergie indispensable en abondance a été le développement d’une technologie permettant d’utiliser l’énergie nucléaire, provenant du cœur de la matière elle-même. Son avantage premier est de briser en grande partie la dépendance des pays concernés à l’égard des sources d’approvisionnement en carburants fossiles. Mais le « désordre » est toujours là, qu’il faut toujours exporter du système-société. Outre la chaleur dégagée et le terrible danger permanent d’un accident de type Tchernobyl ou Fukushima, le traitement des déchets nucléaires est un défi scientifique non encore résolu, obérant la sécurité de nombreuses générations futures et fortement invoqué par les opposants politiques écologistes. Nous exportons ce désordre vers le futur…

La fusion nucléaire étant encore du domaine des rêves de scientifiques, on entend aujourd’hui monter de toutes parts des incantations en faveur des « énergies renouvelables ». Elles se résument à l’exploitation du vent, des courants d’eaux et du soleil. Certes, elles sont de nature à résoudre l’excès de gaz carbonique que produit actuellement l’activité humaine, mais toutes produisent et produiront encore inéluctablement, en vertu des lois naturelles de la physique évoquées, un désordre qu’il faudra exporter dans l’environnement planétaire de nos systèmes sociaux.

Les éoliennes représentent un investissement important, leur entretien est coûteux, leur production discontinue alors qu’on ne sait pas vraiment stocker l’électricité. Elles sont faites d’énormes structures d’acier ou de béton, d’éléments mécaniques et électriques qu’il faut produire et construire en augmentant toujours à ces occasions l’entropie universelle.

Les barrages hydroélectriques nécessitent des travaux herculéens sur de nombreux ouvrages d’art dans des contextes difficiles pendant de longues durées, leur surveillance et entretien consomment encore des ressources diverses ; encore de l’entropie initiale ou continue à écouler sur la planète.

Le soleil est la source même de toute vie sur Terre, d’où l’idée de s’adresser directement à son rayonnement pour satisfaire nos gesticulations, qui n’ont toujours comme but que de nous procurer de meilleures conditions de vie. Hélas les panneaux solaires sont polluants à produire ou recycler et ne nous parviennent à coût acceptable que grâce à une mondialisation commerciale qui consiste à trouver de plus en plus loin une main d’œuvre prête à tout accepter pour ne pas mourir de faim. Leur acheminement par porte-conteneurs hyper-polluants complète le tableau. Ces modalités constituent encore une forme d’exportation de notre désordre.

On comprend donc qu’au mieux l’utilisation de ces nouvelles sources modifiera la forme de notre impact et retardera l’échéance à laquelle le désordre global généré par les humains deviendra intolérable pour la planète. A ce stade on doit aussi considérer qu’il existe un rapport évident entre la dépense globale d’énergie d’une société et le nombre d’individus qui la composent. Or, l’examen des courbes démographiques particulières comme mondiales nous projette l’image d’une envolée exponentielle du nombre d’humains sur Terre…

Regardez et écoutez ce qu’en pense Hubert REEVES

On peut autrement dit encore se risquer à conclure qu’il existe une relation directe et immédiate entre le maintien-développement-adaptation d’une société qui assure une forme de vie sure, confortable et éventuellement heureuse à ses membres et l’entropie, le désordre, qu’elle exporte dans son environnement. Il faudrait donc une considérable régression des sociétés humaines par réduction drastique de l’énergie qu’elles dépensent quelques soient ses sources, sans quoi le désordre -au sens le plus large de ce mot- exporté vers leur environnement (planète Terre) ne fera qu’augmenter ; ceci en vertu de lois naturelles physiques incontournables.

Si cette régression a lieu, sous des contraintes lourdes impossibles à prévoir mais probables à redouter, il est évident dans l’état actuel de la démographie mondiale que devront se produire d’énormes holocaustes d’individus humains qu’il sera désormais impossible de nourrir, habiller, chauffer, abriter, éduquer, soigner… On commence quand à réguler le nombre de naissances mondiales ? « C’est vous qui voyez…».

Charles Clinkemaillié

Novembre 2018