Croisière méditerranéenne du 14 mai au 1er juin 2012 à bord de « Sémiranis »,
voilier de la série « Sun Magic 44 ».

 

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Le SUN MAGIC :

Longueur de signalement: 13,30 m

Maître bau: 4,22 m

Tirant d’eau : 2,20 m

Voilure au près: 98,30 m2 Spi: 130 m2

Jauge brute: 18,36 Tx

Poids du lest: 3645 Kg

Tirant d'air: 17,6 m

Déplacement en charge: 10620 Kg

Catégorie de navigation: 1ère

Réservoir eau: 480 L

Réservoir gazole: 230 L

 

Merci les amis ! Trois chemins dans mon réseau d’amis devaient un jour me conduire à Guy et à son grand voilier. Ce fût Yves qui noua ce nœud dans la trame et me voici invité en cette deuxième quinzaine du joli mois de mai comme équipier à bord de « Sémiramis » . Destinations : Cabotage sur la méditerranée française, traversée vers la Corse, découverte et retour par les mêmes voies.

Appareillage :

C'est le 14 mai que nous nous retrouvons, d'abord avec Yves dans le train pour Montpellier puis avec Guy qui nous attend à la gare de cette ville où il réside. Nous prenons la route pour Port Saint Louis du Rhône. Après avoir rapidement aperçu "Sémiramis" et déposé nos bagages, c'est la corvée d'avitaillement au supermarché qui s'impose. Nous dînerons ensuite agréablement au restaurant de la marina-port à sec de Port Napoléon, lieu de séjour habituel du voilier.

Ce stockage des navires de plaisance à sec pour original qu'il paraisse est certainement la solution pour l'avenir. Les ports sont pleins, on n'en peut plus créer et les prix montent. Si on considère de plus que le bateau souffre moins et ne court aucun risque, c'est séduisant. Port Napoléon appartient à une société nordique; l'organisation, les installations, le matériel et les services sont parfaits. Il faut avoir assisté à une mise à l'eau ou à une sortie pour être convaincu.

Le 15 mai au matin, nous voilà partis au moteur parmi les platitudes de la Camargue où les limites de l'eau et de la terre sont incertaines. Je découvre le paysage industriel assez fantastique du golfe de Fos.

Cette route réveilla en moi ici où là bien d'anciens visages, d'anciennes voix, des souvenirs que je croyais perdus au fond d'un demi-siècle de temps. Les dix-sept premières années de ma vie se déroulèrent en effet à Toulon où mon père, déjà marin d'Etat, passa le plus long de sa carrière. Quiconque remontera ici dans ses propres souvenirs d'enfance et d'adolescence me comprendra. Ces âges sont les plus importants d'une vie : "De tous ces deuils que je porte il y a d'abord celui de l'enfant que je fus" écrivit parait-il Edmond Rostand; voilà, tout est dit.

Et puis comme elle est belle cette côte ! Passé le cap Couronne le relief s'élève, les massifs calcaires prometteurs des falaises et calanques vertigineuses montrent leurs os blancs. Traversant la rade de Marseille, on paraphraserait volontiers un célèbre corse disant que "des siècles vous contemplent". Que d'histoires, heureuses ou tragiques, graves ou truculentes, se sont déroulées sur cette vaste scène depuis 2712 ans ! Plus proche, comment ne pas entendre en passant là comme portés par ce vent les poèmes de mon cher Louis Brauquier, si attaché à sa ville ?

Mais voici déjà les grands massifs calcaire de l'est et il faut bientôt lever la tête pour contempler iles et falaises. Nous arrivons dans la réserve des célèbres calanques de Cassis et mouillons seuls en toute simplicité pour déjeuner dans le cadre grandiose de Sormiou.

 

D'un panorama à l'autre, la route de l'après-midi nous conduisit à l'abri du bras Est de la presqu'ile de Giens pour y passer la nuit seuls au mouillage, sous les effluves balsamiques des pins parasols.

 

Le lendemain 16 mai nous remontons rapidement les plages où se baignait mon enfance pour une brève escale au port d'Hyères, afin de faire le plein de gas-oil et d'acheter du pain. La grande rade d'Hyères, magnifique plan d'eau pour les amateurs de voile, abrité au sud par les iles, est traversée prestement, non sans saluer le Fort de Brégançon, résidence présidentielle bien connue. Le déjeuner nous voit mouillés juste à l'aplomb du sémaphore du Cap Bénat.

 

La soirée se passera dans la contemplation d'un mouillage désert encore, la Baie de Briande, située...à quelques kilomètres à peine au sud de Saint Tropez et encore plus près des plages de Tahiti et Pampelonne. Magique ! La nuit sera calme.

 

Le jeudi 17 mai est le grand jour de la traversée vers la Corse. Elle se fera presqu'en totalité au moteur, faute de vent mais par une visibilité extraordinaire puisque nous verrons simultanément à mi-chemin d'un côté le continent, de l'autre la Corse. Bien sur il ne s'agissait que de hauts sommets encore enneigés à cette saison. Nous mettrons 17 heures pour franchir les 100 milles et arriver dans le mouillage légendaire de la Girolata. La nuit est noire, mais un bâtiment hydrographique de la Marine Nationale mouillé là aveugle notre approche en étant peu économe de la lumière de son groupe électrogène.

Au réveil, c'est le choc. On reste coi devant la beauté, le calme et la virginité du lieu. C'est aussi de là que nous repartirons ayant le loisir de descendre à terre pour un dîner en terrasse à base de sanglier et de vin corses (le sanglier courra encore dans l'estomac deux jours après, à moins que ce soit la vigueur du vin).

 

La journée du vendredi 18 mai est consacrée à la visite de la réserve naturelle de la presqu'ile de Scandola, toute proche . Uniquement accessibles par la mer, ses vingt kilomètres carrés offrent au regard d'incroyables visions. Falaises, grottes, candélabres de pierre, sculptures fantasmagoriques, formes où l'oeil distingue ce qu'il veut, chaos, éboulements, on ne cesse de se remplir les yeux. Guy connait bien les lieux et voici qu'il engage le bateau dans une faille coupée à la hache dans la haute falaise; elle va se rétrécissant, on se dit qu'il sera impossible de faire demi-tour et compliqué de reculer, et puis y-a-t-il assez de fond pour ne pas s'échouer ? Et voici que soudain sur la droite  la falaise s'arrête tout net, le soleil traverse là-haut un oeil dans la pierre et inonde une passe à 90 degrés, pas tellement plus large que le bateau et qui reconduit à l'eau libre. Joli moment...

 

Nous déjeunerons seuls au mouillage dans la Cala di Lignaghia dominée par les 618 mètres du Monte Senino, qui sépare le golfe de Girolata de celui de Porto. Prévoyant des courses alimentaires, nous faisons route au sud en après-midi et, doublant l'impressionnant Cap Rosso, nous mouillons devant le port de Cargèse pour la nuit.

Samedi 19 mai au matin nous voici de bonne heure et bonne humeur à terre après avoir amarré l'annexe. Nous sommes au pied d'un raidillon dont l'ascension va nous calmer...

Sur la crête, à 100 mètres au-dessus de la mer, on est d'abord frappé de voir deux églises catholiques se faire face dans un affrontement architectural évident. L'une est orthodoxe, l'autre latine. Ceci résulte d'une migration de population grecque en 1676. On débattit (pas toujours pacifiquement...) sur le sexe des anges jusque dans la première moitié du 19ème siècle, où décidemment faute de s'entendre deux églises furent construites à grands frais face à face...Le village semble aujourd'hui un havre de paix et il doit y faire bon vivre; si l'on est corse...

Pour notre part, traversant en ligne droite le golfe de Sagone, nous mouillerons pour déjeuner dans l'anse de Figuera, à l'abri des falaises qui annoncent le Cap di Feno. Abattant de la route vers le sud, nous passons les iles Sanguinaires, traversons le golfe d'Ajaccio, doublons le Cap Muro et le soir nous voit mouillés dans la Cala d'Orzu. Sur la plage trois paillotes dont une reste célèbre : "Chez Francis"...Aujourd'hui reconstruite au frais du contribuable, toujours sur le domaine public, tout va bien...

 

Notre traversée du golfe d'Ajaccio sera enchantée par la vision du célèbre voilier classique "Moonbeam" que nous croisons sous bonne brise. Habituelle vedette des rassemblements de voiliers à gréements classiques, "Moonbeam" est aux voiliers ce que les Stradivarius sont aux violons : une perfection, une merveille.

Le dimanche 20 mai nous voit faire route toujours vers le sud et sous une pluie digne de l'Atlantique. Nous atteindrons le port de Bonifacio dans l'après-midi. En dépit des conditions météorologiques, la première fois que l'on découvre ce site et l'entrée de cette forteresse naturelle extraordinaire est inoubliable. Grandiose est le mot qui s'impose encore et encore à l'esprit tandis que les yeux s'écarquillent sur les falaises hautes de 40 mètres à bâbord et de 65 mètres à tribord.

 

Bien sur depuis les temps les plus anciens les hommes ont su mettre à profit ce cadeau de la nature pour y commercer, protéger, conquérir ou taxer et une cité très ancienne se veut dominatrice du promontoire.

 

Des prévisions météorologiques peu engageantes, mais qui seront démenties par une réalité convenable, nous amenèrent à passer deux nuits dans ce port confortable, cher et pourvu de sanitaires propres. Bien sur on acheta du frais et l'on visita de fond en comble, occupant le reste du temps à commérer sur les manoeuvres de port d'autres plaisanciers, naturellement bien moins bons que nous...

Le mardi 22 mai les affaires reprennent, "pousse au large" direction les bouches de l'enfer; non de Bonifacio. Certains vous raconteront que c'est parfois la même chose. Ce ne sera pas le cas pour nous et partis à midi nous atteindrons le mouillage de Rondinora vers 15 heures. Nous voici dormant sur la côte Est de la Corse.

 

Nous ne pousserons pas davantage sur cette cote Est, il faut songer au retour. Repassant les bouches, nous revoyons encore sans lassitude ces panoramas uniques. Guy nous a prévu un détour par les fameuses iles Lavezzi et c'est avec une gourmandise visuelle que nous déambulons dans ce chaos inspiré de roches rondes, si semblables à celles que nous présentent toujours les dépliants touristiques vantant les Seychelles. Un monument et deux cimetières rappellent la tragédie de la Sémillante survenue ici le 15 février 1855. Cette frégate transportait des troupes et du matériel vers la guerre de Crimée. Elle explosa par une nuit de tempête en heurtant à 12 noeuds  une roche immergée et se désintégra immédiatement faisant près de 700 morts.

 

Ignorant la baie de Figari, nous allons mouiller pour déjeuner le 23 mai dans le golfe de Roccapina. Laissons parler le politicien et écrivain local François Giacobbi qui décrit le site ainsi : « Pentes douces couvertes de bruyères, de blocs de granit émergeant çà et là : une lande bretonne où ne manquent même pas les dolmens et les menhirs. Voici le fameux « Lion de Roccapina » dont le rocher évoque en effet assez bien un gigantesque lion couché. Au bas du massif, une extraordinaire petite plage, une de plus, au charme irrésistible. »

La petite plage au fond nous apparut cette fois percée par le cours d'eau qui se cachait derrière, sur la droite un ilot tout proche hébergeait un nid de goëlands et nous avions tout loisir d'observer la petite famille dans le plus grand calme. En arrivant nous avions bien remarqué la présence d'un bouée de corps-mort jaune devant la plage, un peu discordante dans cet écrin vierge. L'explication nous arriva à l'heure de l'apéritif sous forme d'une vedette chargée de passagers. Micro crachant au vent des commentaires nasillards et un salut pour nous, le patron posa l'étrave sur la plage tandis qu'un matelot amarrait l'arrière à la fameuse bouée. Nous ne pouvions manquer les consignes données aux passagers bientôt débarqués sur le sable. Espèce peu adaptée à ce cadre naturel indemne, ils paraissent d'abord un peu hagards, tâtent le sable puis se dispersent lentement. Ceux-ci chargés de sièges pliants et autres objets utiles vont à la recherche de l'ombre; ceux-là établissent un campement sur serviettes-barbecues; les plus futés partent explorer les sentiers pédestres environnants. Selon une constante souvent vérifiable, les individus ou les groupes constitués qui préexistent s'installent à distance optimale de moindre promiscuité. L'étonnant c'est que tous gardent le silence. La nature semble agir sur eux comme s'ils étaient entrés dans une église. A bord de la vedette on s'agite, l'équipage corse travaille (oui...) vite et bien à dresser des tables et lancer un barbecue (heureusement le léger zéphir porte à terre...). Une heure après c'est le rappel général à bord; on boit, on mange, on se rassure.

Notre remontée vers le nord continue et le déjeuner du jeudi 24 mai nous trouve mouillés dans l'anse de Tivella, sous la pointe de Senesota. La nuit se passera à l'abri du phare des iles Sanguinaires.

 

Le 25 mai au matin nous voici de retour à Cargèse, à quai cette fois afin de remplir le réservoir de gas-oil, tout de même très utile en méditerranée. Nous pensions avoir aussi fait le plein de beaux paysages, mais Guy gardait encore en réserve la découverte du Cap Rosso, des falaises et calanques de Piana et du golfe de Porto. Laissons parler les photographies :

   

 

Samedi  26 mai 2012 : Après un dîner à terre et une seconde nuit à la Girolata, appareillage 5 H 30 pour la traversée vers le continent. Au revoir la Corse, ile de beauté non usurpée. Nous avons un temps orageux mais il semble que nous le laissions derrière nous, le large est clair. La traversée s'effectuera encore au moteur par calme presque plat. Elle sera agrémentée de rencontres de nombreux poissons-lunes (en moyenne 2 mètres pour une tonne) et de quelques dauphins joueurs, toujours friands des étraves. A 22 H 15 nous mouillons par nuit noire grâce au GPS entre l'ile du Levant et Port Cros.

Au matin du dimanche 27 mai nous innovons en prenant un autre mouillage pour le petit déjeuner. Car il est tout proche et vaut le détour, il s'agit de l'anse assez célèbre de Port-Man. Une pointe rocheuse surmontée d' une vieille tour fortifiée cache une baie profonde et de belle courbure. Autour le maquis méditerranéen noie les pieds de pins maritimes; l'humain est toléré; c'est calme, ça sent bon...Nous faisons ensuite lentement voile vers le port officiel de Port Cros, dans l'est. Au passage nous faisons un peu les fous en tournant à la voile dans l'anse de la Palud, où existe une originale réserve pour promenades sous-marines.

 

Le 28 mai nous voit faire un saut de puce vers l'ile de Porquerolles autour de laquelle une nonchalante zigzagodromie nous fait découvrir encore des paysages surprenants. Nous déjeunons dans la baie de la Galère et dormons dans la baie du Langoustier.

 

Le mardi 29 mai notre but est d'atteindre les iles des Embiez. Cela nous fait passer une nouvelle fois devant le littoral toulonnais de ma jeunesse. Nous y aurons quelques aventures car un champ de tir que nous devons traverser est activé par la Marine Nationale devant le Cap Sicié. Nous voici en conversation VHF avec les autorités et avons droit à la visite d'une vedette. Bien obéissants nous suivrons la côte au plus près, pour le plus grand bonheur de nos boites à images et souvenirs. La calanque de Mourret après les hauteurs vertigineuses de Sicié nous réserve un havre désert pour déjeuner. Les Embiez sont tout aussi tranquilles pour accueillir notre ancre en soirée.

Le mercredi 30 mai au matin nous voici en escale brève dans le joli petit port de La Ciotat. Déambulant dans les étroites rues fraîches parmi une petite foule paisible, nous prenons conscience qu'il y a déjà assez longtemps que nous n'avons pas circulé à terre parmi des gens. Courses de périssables, médicament, gasoil et nous voici repartis. Ce trajet va encore nous abreuver de visions. Immédiatement en sortant il faut déjà admirer la reconversion réussie de l'ancien site de la réparation navale. Elle s'effectue aujourd'hui non plus sur des navires de commerce mais sur des yachts luxueux dont nous nous prenons à calculer la valeur réunie là sous nos yeux...

Ce sont ensuite les falaises du Bec de l'aigle, que je n'avais jamais vu de si près. Toute cette côte semble faite de mousse au chocolat posée en vrac, un peu effondrée sur elle-même, c'est saisissant.

 

Après avoir visité quelques calanques, nous passons sous les immenses falaises du Cap Canaille et mouillons pour déjeuner devant la plage de Cassis.

Avions nous tout vu ? Non pas encore, Guy nous propose alors un passage plus approfondi dans les célèbres calanques de Cassis. Et nous nous infiltrons successivement dans Port Miou, Port Pin, En vau, Morgiou avant de retrouver Sormiou pour y passer la nuit. Comment décrire de tels sites ? Les photographies bien sur; mais c'est un peu comme regarder un film à grand spectacle sur un écran de télévision, cela n'emplit pas de la même manière...

Jeudi  31 mai 2012 : dernier jour de navigation. Nous découvrons un dernier mouillage charmant dans l'anse de Carro, près du Cap Couronne. Mais aussitôt après le relief disparaît et nous revenons dans les platitudes camarguaises. Il faut suivre strictement le chenal et l'écran du GPS pour s'infiltrer vers Port Napoléon.

Le 1er juin sera occupé tout d'abord par le nettoyage de Sémiramis. Sa sortie d'eau et son stationnement sont ensuite rapidement et parfaitement menés par les employés de Port Napoléon. Nous n'avons plus qu'à reprendre la route de Montpellier avec le véhicule de Guy que nous remercions encore chaleureusement. Nous nous séparons prestement devant la gare car en contexte urbain civilisé le temps de "mouillage" est compté et nous ne sommes pas seuls. Nous arriverons en soirée et sans autre aventure (parfois le train...) à nos domiciles respectifs. Nous nous sommes donné là encore bien de belles images et de bons souvenirs; ce devrait être la seule priorité des heureux retraités que nous sommes "Tempus fugit velut umbra".

Charles Clinkemaillié

Juin 2012