Pour mon épouse, à laquelle je dois consentir qu’elle aurait parfois eu peur,
Pour mes vieux amis qui auraient tant voulu en être encore et dont j’ai souvent senti l’esprit près de moi,
Pour tous ceux qui me demanderont « Alors, comment c’était ? » et parce que j’ai la flemme de radoter…

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OUAKAM

Galice 2008

« Etre seul, être heureux, oublier l’univers »
« Laisser dans ses cheveux passer la brise pure »
« Loin des hommes méchants et du monde pervers» 
« S’enivrer de silence, et d’ombre et de murmure. »

          Léon Dierx 1838-1912

Diaporama

C’est donc à 14 h 30 le 15 juillet 2008 que je parvenais enfin à m’arracher à l’affection des miens et à toutes les tentatives de dissuasion pour appareiller en solitaire du port d’Arcachon à destination de la Galice espagnole, en faisant une route directe.

Je rejoins au moteur à 15 h 45 un corps mort libre à l’extrémité du Mimbo, devant « Chez Hortense », afin d’attendre la pleine mer pour franchir le plus sûrement au début du jusant ce piège à rats que constituent les passes du bassin.

Dernier préparatifs mineurs à bord dans une certaine appréhension et le corps mort est largué à 16 h 15. La grand voile est hissée « au cas où », mais c’est au moteur encore qu’il vaut mieux sortir au plus vite de cet endroit. C’est chose faite à 17 h 30. La dernière « porte » de bouées passée, je respire et la belle navigation commence, en eaux libres.

Il fait une belle journée, rien de trop chaud mais grand soleil et vent du Nord de force 5, quand même. Il a levé une houle du nord d’environ 50 cm à 1 mètre mais qui reste chaotique et dont les crêtes brisent parfois. J’ai pris un ris et roulé 5 ou 6 tours au foc, nous filons vent de travers avec des pointes à 7 nœuds, c’est le bonheur. Le régulateur d’allures barre comme un vieux cap-hornier, cap à l’ouest.

 

 

L’inconvénient de cet horaire de marée c’est que la nuit va vite tomber. Je dîne rapidement pour ne pas le faire dans le noir et assis dans la descente je contemple le spectacle. Vers 20 h 15 la mer me fait un cadeau de bienvenue : quatre grands dauphins viennent du nord-est pour me dire bonsoir par leurs superbes plongeons.

 

http://clinkemaillie.free.fr/ouakam2007/Nuit.htm

 Je commence cette nuit à tester ce qui m’apparaissait comme le principal problème de cette croisière : la gestion de mon sommeil. N’ayant aucune expérience personnelle dans ce domaine, mon projet est de scruter attentivement le tour complet de l’horizon, de régler l’alarme du « Mer Veille » sur 20 minutes, de m’allonger pour m’endormir le plus vite possible et ainsi de suite. Le résultat est concluant et je procéderai ainsi toute la croisière. Le « Mer Veille » est un appareil indispensable, il n’a jamais été pris en défaut et me signale pêcheurs et navires de commerce bien avant que je ne les vois. Je ne regrette pas cet achat.

Entre 1 et 2 heures du matin, je dois veiller attentivement et modifier mon cap pour éviter une route de collision avec un caboteur, que finalement je croiserais assez loin. Il est toujours surprenant, étant seul, avec un horizon vierge sur 360 degrés, de constater qu’un navire apparaissant, il fait route de collision avec soi. L’emmerdement maximum !

Pourtant globalement, il faut souligner combien la mer est vide d’humains au large. Les terriens qui ont perdu la vraie dimension de l’espace dans des vies perpétuellement embouteillées ne parviennent pas à le considérer.

Le vent molli progressivement et à 4 heures je largue quelques tours de foc puis le ris à 6 heures. Sous un délicieux force 3-4 de Nord je fais route à 5 nœuds.

Toute la journée du 16 juillet se passera dans ces conditions idylliques, elle restera l’un de mes meilleurs souvenirs de voile. A 17 h 30 je constate que j’ai abattu 125 milles dans les 24 heures, ce qui est très honorable pour mon « OUAKAM ». J’ai été également très agréablement surpris par son confort à la mer, il passe bien, ne mouille jamais le pont sous le vent et surtout ne tape pas.

En soirée les dieux de la mer qui semblent être avec moi me font le cadeau du jour. A 18 h 45 j’aperçois sur bâbord arrière à environ ½ mille les jets de 3 ou 4 cétacés dont je vois affleurer les interminables dos noirs. Probablement des globicéphales, il faudra que je me documente car ces rencontres vont se répéter tout au long de la route. Et puis à 19 h 40, ayant jeté à la mer la grosse couenne grasse de mon jambon, j’ai la surprise de voir surgir de nulle part trois pétrels qui probablement s’en sont régalés et viennent voir si l’aubaine pouvait se répéter. Ces oiseaux de mer qu’on ne voit qu’au large ne brillent pas spécialement par la beauté de leur plumage mais on ne peut qu’être impressionné par leur maîtrise du vol plané au ras des vagues. Pendant des distances considérables et à grande vitesse, l’extrémité de l’une ou l’autre de leurs ailes affleure constamment l’eau mouvante à quelques centimètres,On imagine bien sur que dans le même temps leur regard hyper aigu balaye la surface à la recherche de pitance. On ne se lasse pas de contempler le meeting aérien, obligé pourtant de tourner sans cesse la tête pour suivre les larges tours qu’ils décrivent autour du bateau. Comble de bonheur pour la soirée : alors que les pétrels passent avec une supérieure indifférence sur mon avant, je constate qu’un dauphin est en train de jouer avec mon étrave. Il y a vraiment des soirées où l’on ne regrette pas de ne pas avoir la télé !

Encore un moment d’émotion vers 20 h 30. Une grosse barre de nuages se précise de plus en plus ; c’est un front. Ma route devrait passer juste dans son sud, et compte tenu de son aspect, je préfère. Je finis par appuyer au moteur pour être certain de l’éviter.

Et puis vers 23 h 30 les magnifiques conditions de cette journée touchent à leur fin, l’aspect du ciel s’est arrangé mais le vent tombe et me voilà de mauvais gré au moteur. Au moins je n’ai pas de scrupules à allumer en grand tous mes feux de route, sachant la batterie constamment rechargée.

J’en prends pour le reste de la nuit, jusqu’à 7 heures où le vent revient un peu du nord et me permet de dormir.

Mais cette journée du 17 juillet sera marquée par l’absence de vent, j’alterne voile et moteur. L’ennui de la marche au moteur, c’est que je dois barrer ; le régulateur ne fonctionne qu’avec du vent… Je savais bien qu’il me fallait acheter et installer un pilote automatique électrique de cockpit en supplément. Mais je reste indigné par les prix du matériel plaisance surtout rapporté à sa solidité et puis si l’on attend d’être complètement prêt, on ne part jamais, c’est bien connu.

Vers 13 h 30 je m’aperçois que je sombre malgré moi et brutalement de plus en plus fréquemment dans l’inconscience pendant je ne sais combien de secondes. Ca devient dangereux, je décide de tout stopper, de laisser dériver le bateau et de dormir 40 minutes (maximum de l’alarme du « Mer Veille »). Je fais surface comme prévu et rénové (bof…). A 14 h 30 ce paresseux de vent se relève enfin force 3 de Nord Nord-Ouest et je fais plaisamment route jusqu’à 21 heures. J’aurais quand même accompli 104 milles dans les 24 heures, soit 229 milles sous 48 heures, depuis le départ.

L’après-midi rattrape la matinée, la mer est vide et belle, juste quelques friselis à perte de vue par-dessus un léger fond de houle du nord, comme une respiration. A l’heure de l’apéritif quatre dauphins viennent jouer à l’étrave ; ça devient banal ! Non, toujours émerveillé, je fais des photos qui ne rendront jamais l’émotion du moment réel.

 

 

Comme d’habitude aussi, le vent tombe à 21 heures et c’est encore une nuit de moteur qui m’amène le 18 juillet à 8 h00 à rentrer dans la ria de Obarqueiro après avoir aperçu à 5 milles dans l’ouest la formidable barrière du cap Ortegal précédée en mer par ses terribles dents (Los Aiguillones).

 

Photo croisière 2007

Vers le milieu de la nuit, j’ai dû contourner en rallongeant ma route de plusieurs milles un espèce de convoi fantomatique à la « Mad Max », probablement un système industriel de pêche à la palangre. En avant, un navire normal que me signale « Mer Veille », mais son balisage façon « arbre de Noël » fait douter. La VHF reste muette. Plongée dans le livre, car des comme ça on n’en voit peu et on ne s’en rappelle jamais. J’opte sans trop y croire pour « Navire en train de chaluter et dont le chalut est pris dans un obstacle ». Apercevant loin dans le sillage de ce navire une aveuglante lumière blanche, je crois plutôt à un ligneur. Ces navires étirent sur des milles et des milles des « long lines » ou palangres munis d’avançons appâtés. A bord, on vire constamment, ramasse les prises et remonte l’appât sur la ligne qui défile ainsi sans arrêt. Je n’ai pas envie de vérifier mon hypothèse en passant entre le navire de tête et la forte lumière blanche lointaine, même si la ligne doit être assez profonde. Me voilà donc parti pour un grand détour…(« Je travaille moi ! » Réplique connue de l’automobiliste coincé par un camion poubelle dans une rue étroite, alors qu’en costume-cravate à 7 heures du matin lui-même va sans doute taquiner le brochet pour passer le temps…).

Enfin parvenu au bout du convoi, je découvre que c’est un navire de pêche qui le termine. Mais au lieu de feux réglementaires, il est violemment éclairé de lumières blanches et crues. On dirait un casino flottant. Bizarre…mais je préfère quand la mer est vide.


 

La ria de Obarqueiro que j’ai choisi sans la connaître est sans doute l’une des plus sauvages de Galice avec juste deux petits ports-villages Vicedo à l’est et Obarqueiro au sud-ouest. Je rentre sur un plan d’eau soudain calmé entre deux rives hautes, abruptes et boisées, indemnes de constructions. Les bleus de l’eau et verts des pentes se disputent pour le meilleur éclat sous le soleil. Le vent étant de secteur Est, je choisis de mouiller de ce côté, à un emplacement indiqué par mon guide.

 

Une pointe rocheuse couverte de résineux abrite une petite plage magnifique surmontée par une grosse bâtisse très ancienne, en ruines. Deux voiliers seulement sont là, rien ne bouge. Mon ancre tombe dans 5,40 mètres d’eau plate et limpide et moi, après un solide petit déjeuner, dans un sommeil de bûche. Réveillé à midi par la faim (comme d’habitude…), je me prépare un menu amélioré (boite, quand même…).
 

 Quelques chiffres à ce stade:

Distance parcourue depuis les passes d’Arcachon : 284 milles (526 Kms)

Durée : 63 heures 30 dont 24 h 50 de moteur avec une consommation de 50 litres soit 2 litres/heure

M’apercevant que je n’ai pas de réseau téléphonique, je mets en cause l’éloignement de la civilisation de ce charmant endroit et décide d’appareiller pour le port de Vivero, à 8 milles de là, dans la ria voisine que je connais déjà. Il me semble en effet indispensable (en qualité d’ancien officier des CROSS en plus…) de rassurer ma famille en leur annonçant que je n’ai pas disparu corps et biens. En fait, il s’avérera que mon prestataire de téléphone portable n’a pas activé l’option « international » malgré ma demande et son accusé de réception m’informant que le nécessaire était fait. Il y a de la résiliation dans l’air…

J’arrive à la marina de Vivero vers 15 h 30 et trouve une place sans problème au premier ponton semble-t-il « visiteurs », à côté d’un couple charmant, de mon âge, et qui se promène à bord d’un magnifique « Sun Odyssey 42 ». Toujours pas de réseau téléphonique, je comprends la trahison de mon prestataire et pars m’enquérir d’un téléphone public. Quête difficile car depuis que les humains sont devenus « bioniques » avec pour la plupart un téléphone portable greffé à l’oreille (près du cerveau, là où ça fait four à micro-ondes pour les neurones…) les postes publics sont rares. Je m’aperçois que tous ceux que je trouve sont accaparés par des sortes « d’indios », jeunes sud-américains qui n’ont pas le look de rois du caoutchouc. Ils ont probablement trouvé un moyen de pirater les appareils pour appeler tant qu’ils veulent le pays…Lorsque j’arrive à en accoster un, bien sur tout est écrit en espagnol, cherche…Au pif je réussis et laisse deux messages (car bien sur personne n’est disponible au moment où j’appelle, miracle du téléphone qui me fait très largement préférer la messagerie).

Le samedi 19 et le dimanche 20 sont consacrés au farniente-récupération et visite de cet agréable petit port niché dans un environnement qui mériterait quelques balades pédestres alentour. Le dimanche 20 est pluvieux toute la matinée et me laisse inquiet pour la météo à venir. Mes sympathiques voisins anglais pourraient se croire chez eux ; mais çà s’arrange en après-midi.

Le jour de mon arrivée et le lendemain, j’avais effectué sans succès plusieurs tentatives pour me déclarer au bureau du port, sis dans un baraquement Algeco posé sur une pelouse lointaine. Et puis j’avais rencontré et dialogué avec un plaisancier français âgé qui relâchait souvent à Vivero avec son « Centurion » (depuis m’a-t-il dit avant que la rivière ne soit détournée et le port construit). Un peu pipelette et gazette des pontons, il me fait comprendre que seuls les plaisanciers qui veulent absolument payer recherchent le « marinero ». Sinon, celui-ci ne vient jamais faire l’inventaire des pontons…Un conflit entre ces personnels communaux s’estimant surchargés de travail et la mairie qui ne s’intéresse qu’assez peu à la marina serait à l’origine de cette aubaine…Profitons en comme l’automobiliste ravi les jours de grève des péages.

Le même monsieur pipelette a la météo fine. Il se procure les fichiers Grib chez un sien ami, cafetier de son état…Il a toujours sa clé USB en poche et nous en profitons tous sur les pontons, toutes nationalités confondues. Un jour, dans un siècle prochain, les ports de plaisance offriront à leurs usagers une connexion wifi comprise dans le prix de la place (On me dira que pour le cas présent…).

« Hisse le grand foc, tout est payé !» était autrefois l’exclamation traditionnelle sur les grands voiliers quittant un port, signifiant par là qu’à partir de ce moment toutes les dettes éventuelles des matelots envers les bonnes maisons et les dames du lieu étaient définitivement réglées. Elle me vient à l’esprit en appareillant donc le lundi 21 juillet à 7 heures de Vivero après trois nuits de port gratuites.

Je sais donc que je vais rencontrer un vent de Nord Est peu favorable à mon but : Ribadeo à environ 45 milles de là. Mais j’ai envie de bouger et de ne pas attendre mercredi où, d’après les informations américaines (fichiers Grib) collectées par un français oisif auprès d’un bistrotier galicien, les conditions deviendront bonnes. Ce sur quoi je n’étais pas informé, c’était l’état de la mer : creux d’1,50 mètre, houle chaotique, des cuvettes, des bosses, des grosse bourrues bien formées qui vous prennent dans leur crête déferlante pour vous reposer dix mètres plus loin, de grands aplats presque calmes, c’est divers mais très inconfortable, bref, c’est pas le pied ! En plus il faut faire du près là-dessus contre un bon Nordet force 5, qui lui était bien prévu. Il faudra onze bords, soit neuf virements de bord dans ces conditions scabreuses. Avantage inattendu : à force d’être secoué et cogné, une vertèbre du bas de mon dos a dû retrouver sa place et la sciatique dans la jambe droite avec laquelle j’ai appareillé a maintenant disparu.

La journée se passe donc comme dans un tambour de machine à laver. Le moindre geste est difficile, harnais de rigueur, et dés que l’on bouge il faut jouer les bandes, comme au billard. Au menu du déjeuner : whisky et un paquet de petits beurre. Par contre le spectacle de la mer et de la côte boisée et sauvage qui défile sous le soleil est magnifique. Le bateau me fait plaisir aussi en s’accommodant bien de ces conditions. Bien sur j’ai un ris dans la grand-voile et des tours dans le foc de telle façon que le matériel ne souffre pas. La coque ne tape que très exceptionnellement et mis à part l’inconfort pour l’humain, tout va bien.

Le GPS, invention merveilleuse, me conduit à 18 H 30 à l’entrée de la ria de Ribadeo où je retrouve enfin le calme. L’accostage au ponton d’accueil puis à ma place sont difficiles car le vent a redoublé et le port n’est pas prévu pour les vents d’est, rares (j’ai de la chance !) mais plutôt pour abriter du sempiternel vent d’ouest régnant sur cette côte. Avec l’aide du « marinero » tout se passe bien. Rangement, repas, nuit tranquille malgré un certain ressac qui m’a fait doubler les amarres.

Ici, c’est un port « normal » où il faut se déclarer et payer 22 euros la nuit. Ce n’est pas excessif rapporté à ce qu’on voit ailleurs. Les formalités accomplies je visite et suis agréablement surpris par l’endroit. Le centre ville est situé sur la hauteur. Il comporte des bâtiments anciens rénovés ou pas de quelques intérêts. L’ensemble respire la propreté et on sent que des projets immobiliers sont en train de s’y accomplir…

 

 

 Les points de vue sur la ria sont très agréables, en particulier ceux qui sont centrés sur le village de Castropol dont je fais quelques photographies. On aperçoit en face du port de plaisance un chantier de construction navale d’importance non négligeable et le port de commerce situé en amont accueille des navires dont le tonnage surprend dans ce décor.

 J’aurais souhaité faire le plein de gasoil par précaution. Le dépôt est à l’autre bout du port, rien n’est prévu pour porter le jerrycan et un embrouillamini linguistique avec le préposé d’assez mauvaise volonté fait que finalement j’y renonce.

Il est tout de même bien étonnant que des gens dont le métier les met en relation directe et quotidienne avec des touristes venus de l’Europe entière, voir du monde, ne sont pas capables de parler autre chose que leur langue maternelle. Passe encore pour le « marinero », la quarantaine un peu rustique, fort en gueule et sans doute inspiré d’une haute idée de lui-même qui lui fait faire ce travail à contrecoeur et juste dans les heures dues. Le modèle est international et déposé. Mais les jeunes et jolies petites « chicas » qui trônent derrière le bureau du port ont bien dû « faire les écoles », comme on dit en Bretagne, et appris il y a encore peu cette langue passe-partout qu’est l’anglais. En insistant, je ne parviendrai à dialoguer dans cette langue qu’avec l’une d’elles et du bout des lèvres (il s’agit du dialogue, hein !…). Seraient-elles là parce qu’elles sont des parentes du maire ou de sa maîtresse ? Mystère, mais bien gênant.

Donc, un dernier dialogue en « petit nègre » ayant réglé la veille au soir un kafkaïen problème de caution pour la clé du ponton (le bureau n’ouvre qu’à 10 heures et je veux partir à 8…) ; j’appareille le mercredi 23 juillet à 7h45 car la route est longue jusqu’à Gijon (66 milles). Le temps est calme mais brumeux avec une visibilité d’environ 3 milles, il fait assez frais, la baromètre est à 1016. Je marche au moteur jusqu’à 10 heures puis un petit force 3 de sud me déhale doucement à 3 nœuds. La journée ne sera qu’alternance de marche au moteur et à la voile à la recherche d’un vent hypothétique, et suffisant. Car il faut aussi que la brise soit assez forte pour contrebalancer l’effet de la houle résiduelle de nord-est qui vide constamment les voiles. Lassé, j’aurais bien mis définitivement au moteur avant 20 heures le soir, où je m’y décide. Mais compte-tenu des compétences linguistiques de mon gracieux « marinero », je crains d’être juste en gasoil. Un calcul mental fait et refait finis par me rassurer et la nuit se passe à faire route grâce à Volvo, mais à vitesse réduite pour économiser le carburant.

Je suis agréablement surpris pendant cette longue nuit au moteur de constater que le régulateur d’allures réussi à nous conduire admirablement. En effet, la légère brise du sud, si elle est insuffisante pour faire porter les voiles, suffit à donner une référence au régulateur, et « la nave va ». Heureusement car je ne sais comment j’aurais géré le sommeil…

En suivant les waypoints préparés dans le GPS, la route est une formalité. Je réalise encore l’importance de ce progrès en frissonnant rétrospectivement dans les parages douteux de l’important Cap Pénas. Souvenons-nous des incertitudes de la position, des mauvaises appréciations des distances la nuit, des angoisses de se tromper sur l’un ou l’autre des paramètres sur lesquels on déterminait sa route…

Mais il y a encore mieux : la cartographie numérique. Car me voici en situation, sans y être jamais venu, de rentrer de nuit dans un grand port industriel et d’y trouver, tout au fond, le port de plaisance. Ce n’aurait pas été possible sans ma cartographie affichée sur l’ordinateur arrimé à la table à cartes. A la barre, en me penchant un peu, je vois les deux écrans GPS et ordinateur qui travaillent ensemble, puisque ma route se trace à mesure sur la carte grâce aux données transmises par le GPS.

Cependant, une surprise : il y a une nouvelle et colossale jetée en construction qui n’est pas sur ma carte. L’humain a donc encore un rôle…

Du coup, cette entrée nocturne s’avère quand même particulièrement spectaculaire dans un certain style de films noirs. Il n’y a toujours presque pas de vent, j’avance lentement dans l’obscurité vers la jetée inconnue que je devine sous l’aveuglement d’immenses projecteurs qui éclairent des chantiers cyclopéens. Ils éclairent aussi pour moi le dos d’une longue houle huileuse, avec laquelle je ne voudrais pas finir par m’écraser sur le béton…Voici le profil d’un musoir qui se découpe enfin à gauche sur les lumières de la ville encore lointaine ; en suivant je découvre une timide bouée verte, je tiens le bon bout !...à contourner par tribord. Me voici donc, sortant sans transition du calme grand large, doublant une énorme jetée en train de dévorer la mer avec les matériaux dont l’alimente tout une noria d’engins démesurés, grues, scrapers, bulldozers, caterpilars en tout genre qui, s’agitant dans cette nuit à la lumière de leurs phares crus, l’emplissent de grincements, d’écroulements, d’alarmes de recul, de bruits de chaînes et de moteurs. Ces silhouettes difformes dans la nuit font inévitablement penser à un film où l’on aurait produit l’horreur grâce à des insectes géants. Plus loin déjà il faut être attentif à une autre drôlerie. Sans doute un vaisseau spatial déglingué qui s’est abîmé là dans l’eau…Des tubes, des pattes fichées au fond, des tuyaux, des lumières, au centre de « l’alien », comme une bouche, une énorme pompe qui recrache à l’air libre en fontaine puissante et nauséabonde, l’eau et le fond du port. Une drague sans doute, balisée par trois énormes feux verticaux, deux rouges encadrant un blanc. Leur ensemble fait penser à un très grand chapeau pointu de clown, mais qui ne serait pas gentil…Sur tribord, à croiser ma route, sortant d’un bassin glauque, m’arrive le chevalier servant de cette dame araignée : une sorte de navire-sablier noir de boue, genre canonnière du Yan-Tsé, balisé à la va-vite et dont seuls dépassent de l’eau les massifs avant et arrière, gavé qu’il doit être de ce dont la drague l’alimente. J’évite soigneusement le compère sans me poser de fausses questions de priorité. Enfin il semble que je sorte des ateliers du diable et de cette fantasmagorie pour trouver les docks d’un port de commerce normal. Cela me paraît presque pimpant comme un tableau de Marin-Marie, version nocturne, à côté de ce qui précède. Je retrouve des repères conformes à mon guide et mes cartes, je prépare tranquillement mes amarres et pare-battages et à 7 h 30 je m’amarre au ponton d’accueil et sombre très bientôt dans le sommeil.

Vers 11 heures ce jeudi 24 juillet j’émerge, trouve sur le pont un petit papier m’invitant à passer à la capitainerie, et j’obtempère. La « chica » est là derrière son ordinateur. La chica est la même partout ; elle est jeune, jolie, a des dents parfaites quand elle sourit. Elle est enfin sortie des études et vit sa vie de femme active, en attendant que ce travail de « public relations » lui fasse rencontrer l’homme de sa vie. Il sera cadre à la compagnie des téléphones ou à la Caixa bancaire à côté ; il lui semblera fiable pour construire un nid de petits humains, mais elle dira et se dira qu’elle a trouvé l’amour, l’âme sœur, l’être unique né pour elle. Elle fera ses petits, cessera de travailler, grossira, deviendra une « senora » et montrera à tous et à elle-même, bien habillée le soir avec son homme sur le « passeo maritimo», que tout va bien. Pour l’instant et comme n’ayant plus l’âge de générer, je suis à celui où l’on dégénère, elle alimente sa machine avec un sourire commercial, veut bien me parler en français et me produit une liasse de papiers soviétique que je garderai soigneusement. En définitive, je paye 18,50 euros la nuit, ce qui me semble très bien. Je la remercie sincèrement de sa beauté (mais je ne lui dit pas), de sa gentillesse, et de connaître ma langue.

  La prévision météo pour le vendredi 25 juillet n’est pas fameuse et je décide donc de rester deux jours. Ce ne sera pas de trop non plus pour récupérer de ces jeux de yoyo avec mon capital-sommeil. Effectivement, la matinée se passe sous une pluie battante. J’en profite pour dormir, écrire, capter des cartes-fax météo de Northwood en BLU, ranger…L’après-midi est belle par contre et c’est le moment de faire le plein de gasoil. J’en mets plein le trou et revient à ma place pour entreprendre de laver le bateau qui en a un peu besoin, avant d’aller arpenter le « passeo ». En somme, jour tranquille à Gijon…


Le samedi 26 donc, ça repart ! Me voici dehors à 8 H 20 après avoir rendu la clé du ponton et récupéré ma caution (et si un plaisantin avait fermé la porte dans cet intervalle de temps ? les ports ne conçoivent pas que l’on puisse naviguer en solitaire…). Je revois de jour le chemin étrange par lequel je suis venu ; bien sur c’est moins impressionnant et simplement vilain.

Aujourd’hui il n’y a pas de question à se poser : le vent est nul et la mer est plate. Ils le resteront toute la journée et la nuit me posant probablement les plus grosses difficultés du périple, toujours à cause de mon absence de pilote automatique bouffeur d’ampères. Heureusement, je finis par réussir des prouesses d’équilibre et à caler la barre avec deux mètres de sandow qui attendaient une affectation. Je peux vaquer un quart d’heure entier avant de vérifier le cap, de remettre une pichenette au réglage, et ainsi de suite.

La côte est belle à contempler et je n’ai pas grand-chose d’autre à faire pour essayer d’oublier le bruit du moteur. Je suis en particulier étonné et admiratif de l’altitude et des tourments du relief entre Ribadesella, Llanes et San Vicente de la Barquera. Les sommets du Pico Pienzo (1159 m) du Turbina (1315 m) et Monte Jana (611m) sont là tout près de la mer et leurs pentes y dévalent non sans se décliner en multiples sommets moins hauts qui créent une plaisante impression de diversité.

Je m’amuse aussi à observer de petites formes de vie qui passent inaperçues au premier souffle de vent. Des limaces de mer, formes noires, comme des veuves ondulent leurs voilettes en crêpe de Chine pour aller Dieu sait où. Des crabes verts, tout simplement de ceux que les enfants pourchassent à la côte avec leur filet à crevettes neuf acheté au bazar de la plage par tonton, modèle « les vacances de Monsieur Hulot ». Seulement nous sommes là par des fonds de plus de 100 mètres ; comment sont-ils montés en surface ? Pour y attraper quoi ? Mystère.

Les plus étranges sont ces petites méduses, sorte d’hydraires que l’on rencontre partout sur l’océan naviguant à la voile et que l’on surnomme pour cela je crois « argonautes ». De loin on pense qu’un malpropre a jeté à la mer un sachet de plastique gonflé, en approchant on pense à un jouet d’enfant tombé d’un porte-conteneurs retour de Chine, de près on découvre une petite méduse qui flotte grâce à une double membrane très transparente et gonflée d’air, sa forme générale est celle d’un chausson aux pommes. Le « collage » des deux peaux, au sommet, semble assuré par des points qui contraignent le gonflage comme le font les boutons sur le coussin d’un canapé Chesterfield. Cette zone festonnée agit aussi comme un prisme et décompose la lumière en un petit « arc-en-mer » très joli. Lesté par un corps incertain, l’édifice expose sa voile au vent et voyage, afin que les tentacules filamenteux achevant l’ensemble sous l’eau pêchent des organismes encore plus élémentaires qui nous restent invisibles. Où se termine la matière ? Où commence la vie ? Questions que le privilège de l’oisiveté permet seul de se poser.

Mais avec cette absence de vent, j’arrive moins frais qu’à l’ordinaire devant Santander. Enfin devant…c’est ce que je croyais en apercevant le phare du Cabo Mayor. Un petit calcul et le GPS m’annonçaient une arrivée vers 1 heure du matin. En réalité ce fichu cap finit par me sembler faire route en même temps que moi, pour me fuir. Cela me rappelait un épisode du délectable livre de Jacques Perret « Rôle de plaisance » : « …Ainsi, plus d'une fois, nous avons navigué une partie de la nuit devant les bords illuminés de Trouville, taillant bon vent une route immobile et sans pouvoir décrocher du casino ; le pompeux édifice naviguait de conserve, tous feux allumés, sous grand pavois de girandoles. Nous envisagions l'arrivée du casino de Trouville et du Matam aux îles Canaries, en formation de gala. ». Mais lui avait l’excuse de naviguer en Manche, où les courants de marées sont ce que l’on sait.

Et je tourne et je contourne en suivant les waypoints et la carte, en évitant des caboteurs et une nuée de ce qui me semblent des lamparos, ce qui fait que je n’entre réellement dans la ria qu’à 4 h 00 du matin. A ce stade et malgré le stress d’aborder de nuit un environnement inconnu, mes yeux se ferment irrémédiablement. Je me lève et me force à rester debout en me disant qu’au moins la recherche de mon équilibre me tiendra éveillé…et bien non, on arrive à dormir debout. Je sais à présent que ce n’est pas qu’une expression.

Le chenalage dans l’entrée de Santander est long et compliqué, pour qui découvre de nuit noire par surcroît. Mais, sur une étape comme celle-ci, soit on part, soit on arrive de nuit ; c’est inévitable. Encore une fois, GPS et cartographie numérique sont indispensables. Je suis aveuglément mon tracé sur la carte. En face de la vaste baie « Ensenada del sardinero » me voilà pourtant obligé de m’en écarter car c’est justement l’heure qu’ont choisi quatre monstres de cargos sortis de je ne sais où pour faire mouvement à me couper la route. J’évite l’un, j’évite l’autre et me voilà bientôt au milieu du paquet. Le spectacle tout proche de ces dinosaures d’acier, sombres et sales, luisants de projecteurs qui éclairent leurs ponts déserts, avançant très lentement en grinçant chaque fois qu’ils lèvent lourdement la fesse sur la légère houle, est encore des plus attrayants…

J’arrive enfin devant ce que mon guide définit comme le premier port de plaisance du lieu : la Darsena de Molnedo. Une darse très centre ville, bordée d’importants immeubles de standing, des feux rouges, un grand boulevard, mais de ponton d’accueil ou de pancarte d’information point…En relisant le texte entre les lignes (vers 4 h 30 du matin il y a des subtilités qui échappent…), je comprends que le lieu est quasi-confisqué par des notables qui n’ont besoin de recevoir personne :(« Cette darse au coeur de Santander est réservée au yachting »). Je fais deux tours, retourne en un lieu où le guide m’indique que l’on peut mouiller (un voilier s’y trouve déjà d’ailleurs), j’y renonce en découvrant des fonds de 11 mètres bien importants pour mon petit matériel. Seule alternative : rejoindre la récente marina del Cantabrico à 2,5 milles au fin fond de l’estuaire. C’est donc un nouveau chenalage dans un décor industriel portuaire des plus sinistres. Les bouées sont nombreuses et bien disposées, mais comme moi je ne le suis plus, disposé, j’en manque une partie après l’oléoduc pétrolier et je suis tiré de mon semi-coma par l’alarme du sondeur : 3 m, 2,60 m, 2,40 m…panique, demi-tour sur place. Je partais me planter dans une vase sans doute immonde et alors que l’eau descend encore…

Cette fois réveillé, je suis si attentivement les bouées que je dépasse la marina et pars m’enfoncer dans des branchiolles amazoniennes de plus en plus étroites qui conduisent en fait à des chantiers au fond des marigots…Demi-tour et entrée à 6 H 00 dans une marina déserte qui semble avoir été construite hier en « légo ».

Nous sommes à côté de l’aéroport, à dix kilomètres de la ville, dans un marécage que la civilisation récupère peu à peu. Je m’amarre au premier ponton venu, à une place qui pourrait recevoir le yacht de l’émir du Koweit (celui de l’émir du Qatar est déjà là d’ailleurs, juste à côté et au-dessus de moi…), j’arrête le moteur qui vient de tourner 22 heures de suite et,…je dooors !

Le nombre d’heures de sommeil dont je me gave ce jour là et la nuit qui suit m’indique quelle était l’importance du besoin. Le lundi 28 juillet au matin les comptes sont à jour, je vais faire du gasoil (22 litres pour 22 heures, il ne faut pas se plaindre), je me promène autour de la marina et découvre qu’elle ne comporte aucun commerce à l’exception d’un restaurant douteux et de quelques chantiers. Mieux vaut avoir des provisions ou une voiture…C’est très bien pour dormir mais sinistre à vivre. Je découvre cependant avec satisfaction que j’ai accès à Internet depuis le bateau, en wifi. La marina remonte ainsi dans mon estime, jusqu’au moment où je m’aperçois que j’ai piraté sans le vouloir leur système parce que mon ordinateur était configuré avec une adresse IP fixe (et non attribuée par le serveur comme c’est en général le cas). Il s’est trouvé (mais ce n’est pas extraordinaire) que cette adresse tombait dans la plage de celles du réseau local et « roule ma poule »…Je vérifie l’hypothèse en configurant l’ordinateur pour que l’adresse soit attribuée par le serveur, et je tombe sans surprise sur un écran m’invitant à consulter les tarifs et à demander un code à la capitainerie. Une telle modernité m’étonnait aussi.

Le carnet de sommeil remis à jour, j’appareille de cette marina sans intérêt et sans pain le mardi 29 juillet à 7 H 15 pour la dernière étape qui bouclera ma boucle : Santander-Arcachon soit 125 milles. Je sais d’après toutes les prévisions météo que j’ai pu prendre sur internet que je n’aurais que peu de vent ou du vent de Nord-Est, contraire. Tel fût le cas et j’entendrai tourner le moteur pendant près de 31 heures ! C’est quand même solide un moteur diesel. Par contre, malgré sa sobriété (entre 1 et 2 litres à l’heure selon l’allure) il me faudra refaire deux fois le plein de gasoil à partir de mes jerrycans de réserve. Travail d’équilibriste dans la houle où la faute est immédiatement sanctionnée par des éclaboussures de ce liquide bien connu pour sa mauvaise odeur tenace. Le petit gadget qu’est le siphon à bille avec son tuyau est particulièrement appréciable dans ces circonstances.

 

 Par semi-chance, pendant la quasi-totalité de cette route, souffle donc un petit vent de Nord-Est de 5 à 10 nœuds qui, s’il m’est malheureusement exactement contraire, fournit tout de même un vent de référence pour le régulateur d’allures, lequel me débarrasse donc de la corvée de barrer et me permettra de dormir, toujours par séquences de vingt minutes. Peu de faits marquants pendant cette fastidieuse étape si ce ne sont des dauphins, des globicéphales et des orages.

Les dauphins, bien souvent aperçus depuis mon départ, sont cette fois en pêche « à l’explosif ». C'est-à-dire qu’ils sortent totalement de l’eau le plus haut possible, tournent en l’air leur corps d’un quart de tour, le courbent en arc, et se laissent retomber le flanc à plat sur l’eau de telle façon qu’ils produisent une détonation, une onde de choc. Celle-ci estourbit sous l’eau les petits poissons qu’ils convoitaient et ils n’ont plus qu’à se régaler. Simple et efficace ; qui leur a appris ?...En ce qui me concerne si je me régale aussi, c’est bien sur du spectacle.

Dauphin

Les globicéphales, je l’ai déjà mentionné, sont bien plus nombreux qu’on le pense. Je ne comptais plus les jets puissants aperçus ici ou là à l’improviste. Cette fois, malgré le bruit de mon hélice, j’ai failli monter sur un couple. Etaient-ils distraits par des occupations amoureuses ? Ne m’ont-ils pas jugé assez important pour se bouger ? J’aperçois brutalement sur tribord, suivant une route parallèle à la mienne, à moins de trois mètres pour le plus proche, leur aileron arrondi et leur immense dos d’un noir profond et immaculé. J’avais l’impression de pouvoir les toucher en tendant le bras. Partagé entre l’émerveillement, la surprise et la crainte, je reste figé. Car je me dis que si je les ai dérangé, ils pourraient s’énerver et qu’ils sont tout de même manifestement plus longs que mon bateau…Heureusement ces braves bêtes n’ont pas le sens de la vengeance et sont moins vindicatives que l’homme l’a été à leur égard dans le passé. Je garderai le souvenir privilégié des belles images qu’elles m’ont offertes.

Enfin, l’émotion qui manquait entre quatre et cinq heures du matin : les orages. Alors que la nuit avait été jusque là particulièrement belle, avec un ciel sans lune mais piqué d’étoiles comme on ne les voit plus jamais à terre, voici des amoncellements suspects au sud, puis à l’ouest, puis au nord. Bientôt les voici illuminés, très loin, très haut, de lueurs d’éclairs dont on sent immédiatement que l’échelle n’est pas la notre. Des souvenirs de mauvais coups durs reviennent alors, on se dit qu’on va encore déguster, on regarde le sommet de son mat métallique, seul sur tout le cercle d’horizon à dépasser de la surface de la mer. Le temps passe, on regrette les cigarettes d’autrefois et on attend. Bientôt une grosse averse, des gouttes larges comme des soucoupes de tasse à café tambourinent sur le pont, crépitent sur la mer. On attend la bourrasque…mais non, rien. L’affaire n’ira pas plus loin, les lueurs continuent quelques temps à menacer puis disparaissent et les nuages s’effilochent, laissant place à un temps cotonneux mais calme.

L’avantage du moteur, c’est qu’on peut prévoir son heure d’arrivée tel un autobus. Il fallait impérativement que je me présente devant les passes du bassin d’Arcachon avant 14 H 15 pour passer dans la dernière heure et demie du flot. J’avais un « pied de pilote » de deux heures qui ne sera pas consommé et c’est donc vers midi que je me trouve à proximité de la bouée d’atterrissage. Moteur au ralenti, je m’apprête à tourner en rond en attendant l’heure de marée convenable, la mer est très calme, le vent est nul. Et puis j’aperçois un autre voilier qui se risque entre les premières bouées, bientôt suivi par un bateau de professionnels organisateurs de sorties de pêche en mer pour les touristes. Je finis donc par m’engager aussi, bien plus tôt que prévu. En dépit du calme parfait dont je bénéficie pour ce dangereux passage, je me fais assez copieusement secouer comme je m’y attendais au niveau des bouées n°7. On frissonne à envisager la moindre avarie de moteur ; je n’aime vraiment pas ce piège.

Le reste n’est que formalité dans ces eaux si familières. Mon téléphone portable se met à fonctionner à nouveau et malgré mon envie de le jeter à l’eau après la mauvaise farce de mon prestataire pour l’option « international », je m’en sers pour prévenir de mon arrivée. A 14 H 00 ce sont les retrouvailles au ponton, pas à la même place qu’au départ ; mais "ceci est une autre histoire" comme dirait ce bon Rudyard Kipling

  Distances Temps
Total Dont moteur

Arcachon-Obarqueira

15-17 juillet

284 milles

63 heures 30

24 h 50

Obarqueira-Vivero

18 juillet

8 milles

2 heures

2 heures

Vivero-Ribadeo

21 juillet

35 milles

11 heures 30

1 heure 20

Ribadeo-Gijon

23-24 juillet

66 milles

23 heures 45

14 heures 55

Gijon-Santander

26-27 juillet

86 milles

22 heures

22 heures

Santander-Arcachon

29-30 juillet

125 milles

30 heures

30 heures

Totaux

604 milles

152 heures 45

95 heures 05